FOUSSOUBIE et autres cavités voisines (Ardèche, France)                              www.foussoubie.fr

 

 

 

PAGE : Mise en ligne 23.02.2013 - Mise à jour 22.03.2024 - 10 243 visites   au 31.03.2024

FOUSSOUBIE
CO2
Patrick LE ROUX

Comme beaucoup de cavités ardéchoises, la Goule de Foussoubie contient du CO2.
L'Évent fortement ventilé par l'effet "tube à vent" n'est pas concerné.

De nombreuses polémiques entourent encore ce phénomène de variation du taux de CO2 dans les cavités. Encore récemment, un scientifique pourtant sérieux lançait (en boutade ?) que ce taux n'avait pas varié depuis qu'il pratiquait la spéléologie dans la région ardéchoise, et que cette « augmentation du CO2 » ne pouvait qu'être dû au manque de souffle des anciens !!! Sans doute est-il encore trop jeune ?

J'ai pratiqué la spéléologie ardéchoise dans les années 70 et début 80. A ce moment, et comme nos prédécesseurs des années 60, nous ne mentionnions pas de présence de CO2. Avions-nous des poumons particuliers car les jeunes qui pratiquent actuellement la cavité souffrent de la présence de ce gaz ? [Voir GAUCHON Christophe (2012) Goule de Foussoubie et Aven d'Orgnac. Trois séances dans la goule de Foussoubie. CR 12 et 14 juillet 2012 dans Spéléologie SPELEUS Annexes 2012 ; Université de Savoie [p.75/76}]. Sincèrement, cette hypothèse ne saurait être retenue.
Moi-même, en lisant le compte-rendu de l'exploration de GAUPILLAT et ARMAND en 1892, je souriais à leur arrêt dès le sommet des puits. En redescendant en 2010 et 2012, je ne souris plus, trop essoufflé pour cela !

Donc, dans Foussoubie, le taux de CO2 a considérément augmenté à la fin du XXe siècle, semble-t-il pour retrouver le niveau de la fin du XIXe. Au milieu du XXe, le taux de CO2 était bas. Retrouverons-nous un taux faible dans les décennies prochaines ?
Mon propos ne concerne pas les variations saisonnières annuelles pour lesquelles des études sérieuses sont en cours notamment à Orgnac et en Belgique. Je veux évoquer la variation globale du taux de concentration du CO2 au fil des années. Je me contente d'établir un bilan des observations, d'évoquer quelques hypothèses plausibles, mais je n'en connais pas la raison véritable, et semble-t-il, personne encore n'en a proposé d'irréfutable…

Constats
1 - Fin du XIXe siècle (GAUPILLAT et ARMAND), présence abondante de CO2.
2 - De 1934 (DE JOLY), 1958-1967 (NOEL, GOLENVAUX, etc.) à 1972-1985 (LE ROUX, SLAMA, MORAND, etc.), pas de CO2 gênant pour progresser en toutes zones et avec des charges importantes, comme par exemple 20 kg jusqu'au siphon 4.
3 - A partir des années 90 et jusqu'à maintenant soit 2012, CO2 abondant (GOLENVAUX oralement au Camping La Goule, mesures CAILHOL, équipe EDYTEM). Les appareils très rapidement saturés par l'humidité donnent des taux aberrants, les organismes souffrent mais le taux permet une présence ralentie avec des efforts physiques limités.

Première hypothèse
La variation du taux de CO2 serait due à la couverture végétale, et en particulier à la décomposition des végétaux.
Au XIXe siècle, l'importance de la population alors souvent contrainte à l'exil, imposait une exploitation optimale des sols. Les charbonniers étaient très actifs et il y avait encore de nombreux troupeaux sur tous les "Devès" [zones communales libres au pâturage]. Et pourtant, le taux de CO2 était élevé !
Au milieu du XXe siècle, cette pression agricole a quasi disparu et le maquis s'est développé. Le taux de CO2 était bas !
A la fin du XXe siècle et en ce début du XXIe, le taux de CO2 est de nouveau élevé.
La végétation a-t-elle changé ? Dans l'espace des 30 ans qui sépare mes observations personnelles, le maquis et les arbres au bord de l'Ardèche (je pense en particulier aux abords de la grotte de la Chaire) ont pris de la taille : il est probable que leur hauteur soit passée d'environ 5 mètres à 10 mètres et plus. Mais d'importantes coupes de bois ont aussi eu lieu récemment sur le plateau qui surplombe la Goule, une large zone du plateau de la Selve est "mise à blanc" en 2008 ou 2009.

Deuxième hypothèse
La variation du taux de CO2 serait due à la température moyenne extérieure.
Les mesures annuelles de températures et de taux de CO2 semblent montrer une corrélation entre elles. Plus la température est basse, plus le taux de CO2 descend. En hiver, les grottes sont donc plus accessibles, mais n'oublions pas non plus le risque de crue est alors plus grand !!!
Sur un cycle annuel OK, mais en moyenne, le milieu du XXe siècle était-il plus froid que la fin du XIXe ou que la période actuelle afin d'expliquer un taux estival différent ? Problématique du réchauffement climatique ?

Troisième hypothèse
La variation du taux de CO2 serait due à une modification du système d'aération de la grotte.
Il faudrait donc supposer une ouverture et une fermeture fortuite d'une cheminée avec la surface, favorisant ou condamnant ainsi la circulation des masses d'air dans la cavité. Dans la Goule de Foussoubie, les courants d'air sont peu sensibles, mais pas inexistants, sans doute à cause de la section importante des galeries. Les rétrécissements ne sont pas suffisants pour rendre le courant d'air perceptible, à l'exception de la voûte basse du siphon 0.
Par contre, dans une galerie annexe de la galerie GASM, derrière siphon, on trouve un fort courant d'air [été 1979 et 1980]. Lors de son exploration, il semblait indiquer un mouvement d'air entre de grands volumes, mais la topographie a ensuite montré une arrivée de l'air depuis cette galerie annexe, et donc la probable arrivée d'air frais par une cheminée passée inaperçue. Personne n'est retourné vérifier depuis !

Quatrième hypothèse
La Terre respirerait selon un cycle centenaire.
Interprétation sans doute un peu trop anthropique…

Cinquième hypothèse
Réchauffement climatique : avec 400 ppm de CO2 dans l'atmosphère, un seuil historique est atteint.
Voir FranceTVinfo avec l'AFP du 10/05/13 ; Joël COSSARDEAUX dans LesÉchos.fr du 13 mai 2013 [page indisponible] ou celui plus documenté de Stéphane FOUCARD dans LeMonde.fr du 6 mai 2013.
L'accumulation de CO2 dans les cavités serait en corrélation avec son taux dans l'atmosphère. L'avenir du spéléologue serait alors bien compromis…

Sixième hypothèse (plutôt explication que hypothèse)
Par phénomène de levier amplificateur, une petite augmentation de la source de CO2 au bas d'un réseau peut conduire à une grande modification de la teneur en CO2.

CO2 : Article LISMONDE Baudouin
Analyse du rôle du renouvellement de l'air dans l'augmentation du CO2 des grottes.
dans Karstologia n°59 (1er semestre 2012) (paru octobre 2013) {p.40/44}

  Cet article ne cite pas Foussoubie mais évoque une nouvelles théorie d'explication de l'augmentation du CO2 dans les cavités des plateaux. Extraits :
  « Cette augmentation pourrait être causée par un mécanisme de levier faisant jouer le renouvellement de l'air, levier provenant de l'augmentation de la masse volumique de l'air avec l'augmentation du CO2, et concernant les cavités parcourues par une circulation d'air en forme de U. Les "tubes à vent"* ne sont pas concernés grâce à la circulation de l'air.
  L'augmentation de la teneur en dioxyne de carbone des réseaux de plateau ne résulte pas directement d'un apport accru en CO2 mais passe par un certain nombre de facteurs : fluctuations de la pression atmosphérique - fluctuations des écoulements souterrains (deux facteurs qui n'ont guère variés) - modification du régime de ventilation naturelle par abaissement de la température apparente de l'air (en réalité augmentation réelle de la masse volumique de l'air par apport de CO2). Une petite augmentation de la source de CO2 au bas d'un réseau peut conduire à une grande modification de la teneur en CO2 par ce mécanisme de levier ou d'amplificateur. Cet effet serait d'autant plus sensible que les fluctuations de la température de l'atmosphère sont plus petites.
  Inversement, on en déduit aussi que la variation de la teneur en CO2 d'un réseau souterrain est un indicateur sensible des modifications de production de CO2 au niveau du sol (augmentation des surfaces boisées, modification des essences plantées, réchauffement climatique…).
 »

* Cavités de montagne, mais aussi Évent de Foussoubie.

Septième hypothèse
Le CO2 d'origine profonde migre dans le haut des failles au travers de la croûte terrestre, et s'accumule dans les grottes. L'existence de grandes failles, le volcanisme récent de la région, la présence de sources gazeuses pas très loin, sont des éléments en faveur de cette hypothèse.
BOURGES François, MANGIN Alain et HULST Dominique (d') (2002) Pour en finir avec le CO2. dans Tubes n°23 (2002) {p.47/51}.

Autre(s) hypothèse(s)
???
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Pour aller plus loin, quelques textes instructifs
et bien d'autres en tapant "variation CO2 grottes" sur votre moteur de recherches

WIENIN Michel (novembre 2005) Note sur le gaz carbonique dans les cavités héraultaises. {page web} LOUIS F. ; GOEZ M. et LE BACLE C. (1999) dmt Dossier médico-technique 79 TC 74 - Intoxication par inhalation de dioxyde de carbone. dans Documents pour le médecin du travail n°79 (3e trimestre 1999) ; INRS {p.179/194}
GODISSART Jean et EK Camille (2009) Crue du gaz carbonique dans l'air des grottes. dans Eco Karst n°76 (2e trimestre 2009) ; Commission de Protection des Sites Spéléologiques et Commission Wallonne d’Étude et de Protection des Sites Souterrains (La Hulpe, Belgique) {12p. ; p.1/4} BOURGES François, D'HULST Dominique et MANGIN Alain (1998, 2000) Le CO2 dans l'atmosphère des grottes, sa place dans la dynamique des systèmes karstiques. {Communications aux réunions des sciences de la terre 1998 (Brest) et 2000 (Paris)}